Par Alain Tchibozo, Chef Économiste de la BOAD, avec la collaboration de l’équipe des Économistes chargés de la Stratégie et des Études
Une approche fondée sur une plus grande intégration régionale, visant à pallier les contraintes liées à l’étroitesse des économies de chaque État membre dès sa création en 1994, l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) s’est fixé pour objectifs : i) le renforcement de la compétitivité des activités économiques et financières dans le cadre d’un marché ouvert et concurrentiel, et d’un environnement juridique rationalisé et harmonisé ; ii) la mise en œuvre de politiques et actions communes notamment sur les transports, l’aménagement du territoire, l’agriculture, l’énergie, les télécommunications. Au cours de ses 26 premières années d’existence, l’UEMOA a ainsi bénéficié d’un développement d’infrastructures dites structurantes, en particulier dans le domaine des transports avec un effet amplificateur sur l’expansion des échanges intra-régionaux.
Prioriser la réduction du déficit infrastructurel en matière de transport a conduit l’UEMOA à mettre en œuvre plusieurs programmes déterminants.
Le Programme Économique Régional a permis la construction, entre autres, de routes, de postes de contrôle juxtaposés aux frontières et de stations de pesage sur les principaux corridors de l’Union, ainsi que la rénovation de certains aéroports. Au total, près de 20 milliards USD ont ainsi été investis dans plus de cent projets.
Le Plan Directeur de l’Aménagement des Corridors pour l’Anneau de Croissance en Afrique de l’Ouest (CACAO), en coopération technique avec l’Agence Japonaise de Coopération Internationale, recense à lui tout seul plus de 23 milliards USD pour le financement de projets. Le programme a pour ambition d’assurer la promotion de quatre corridors de transport couvrant près de 90% des échanges de cinq pays (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Ghana et Togo).
Enfin, le Programme communautaire de développement est un compact de 242 projets dans les 15 pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et est estimé à 28 milliards USD dont un tiers dédié aux seules infrastructures de transport. Il faut préciser que la configuration régionale justifie de renforcer les aménagements: pays enclavés (sans littoral) qui doivent être reliés aux pays côtiers; zones de production à relier aux frontières pour faciliter les échanges.
Une mise en œuvre très complexe
Cependant, pour les deux phases du Programme Économique Régional, seuls 45% des ressources ont pu être mobilisées fin décembre 2016 pour la deuxième contre 54% fin décembre 2010 pour la première. Le Programme communautaire de développement est quant à lui en quasi hibernation.
Plus généralement, les principales difficultés qui justifient les faibles niveaux de réalisation des projets sont : l’absence d’études de faisabilité pour porter à maturité les projets inscrits, ce qui rend problématique l’adhésion des partenaires techniques et financiers; la faible disponibilité de ressources financières dédiées au financement des études de faisabilité ; la priorité donnée par les États à la réalisation des projets nationaux au détriment des régionaux ; et enfin la multiplicité des partenaires techniques et financiers, avec des procédures différentes, complique la tâche des acteurs étatiques dans la mobilisation des ressources et la mise en œuvre des projets.
Des besoins d’investissements additionnels dans un contexte dégradé
En présentant des plans nationaux de développement ambitieux pour l’atteinte des cibles des Objectifs de développement durable de l’Agenda 2030, les États ont renforcé leurs exigences en matière de réalisation d’infrastructures durables et résilientes1. Ceci a eu pour conséquence d’ajouter de nouveaux projets qui n’étaient pas inclus dans les premiers programmes régionaux. Dans certains cas, une réévaluation à la hausse des anciens projets en a découlé.
Par ailleurs, l’entrée en vigueur de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF), qui a pour but de créer un marché unique de plus d’un milliard de personnes, rend plus impérieux d’achever les programmes déjà initiés. Il est vrai que la crise sanitaire, qui a conduit les pays industrialisés à fermer leurs frontières, a profondément perturbé les chaines mondiales d’approvisionnement. Les économies de l’UEMOA en ont particulièrement souffert du fait de leur dépendance en biens manufacturés (équipements, produits pétroliers, produits alimentaires, etc.) vis-à-vis des pays industrialisés.
Cette crise a donc remis sur le devant de la scène la nécessité de développer des pôles industriels et des chaines de valeur régionaux. Ceci renforce le caractère indispensable d’infrastructures structurantes, en matière de transport en particulier.
Des ressources financières amputées du fait du même contexte dégradé
Il est de notoriété publique que la crise sanitaire a eu un effet dévastateur sur les finances publiques. Le déficit budgétaire de l’UEMOA a atteint 5,5%2 en 2020 contre 2,4% en 2019 (norme communautaire de 3%), dégradant de facto les ratios dettes/PIB. D’où un renchérissement du coût de la dette qui finira par peser sur la capacité de financer les investissements. Or, ces investissements restent la clé de voute du développement et de la croissance future. Le déficit initial d’infrastructures révèle aujourd’hui un déficit de financement. Une solution se dessine : le recours accru aux banques régionales de développement.
Les banques régionales de développement, un atout majeur pour financer les infrastructures de transport
On constate que les banques régionales de développement parviennent plus efficacement que les États pris individuellement à lever des ressources financières à des taux proches de taux concessionnels, et sur des maturités longues. Pour leur permettre de jouer davantage ce rôle, il devient donc nécessaire de leur donner un plus grand accès aux marchés financiers internationaux. Pour ceci, il faut au préalable renforcer leurs fonds propres et aligner leur structure de gouvernance sur les standards internationaux. Il faudrait également loger au sein de ces banques régionales les fonds fiduciaires dédiés à la réalisation des études de faisabilité des projets pour les porter à maturité et à la bonification de charges d’intérêt en cas de blending de ressources (mixage de marché et de ressources concessionnelles le cas échéant); et conférer aux banques régionales le rôle d’interlocuteurs privilégiés des grands bailleurs internationaux qui sont de longue date leurs partenaires. Enfin, cela impliquerait aussi de mieux utiliser l’expertise des banques régionales de développement en matière de partenariat public-privé.
1.↩La durabilité permet en effet de réduire l’empreinte environnementale d’une infrastructure. La résilience d’une infrastructure définit sa capacité à mieux résister aux impacts environnementaux.
2. ↩ UEMOA, rapport semestriel de surveillance multilatérale, juin 2021