Par María del Pilar Garrido Gonzalo, Directrice de la coopération pour le développement à l’OCDE
Le récent sommet de Paris pour un Nouveau Pacte Financier Mondial a tourné une page de la coopération pour le développement écrite en 1944 à Bretton Woods. Créés alors, la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) et le Fonds monétaire international (FMI) avaient un champ d’action limité pour un monde qui comptait moins d’une centaine de pays indépendants. Les priorités étaient la reconstruction de l’Europe et l’équilibre des balances de paiements, comme en témoigne le prêt pionnier de la BIRD à la France. Depuis, le monde a considérablement évolué, avec plus de 150 pays aspirant au statut de pays à revenu élevé, plus de 650 millions de personnes en situation d’extrême pauvreté, et des défis urgents liés au changement climatique et à la perte de biodiversité.
Depuis plus de soixante ans, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et son Comité d’aide au développement (CAD) ont été un pilier de la coopération pour le développement. Le CAD, qui s’est imposé comme un forum de premier plan pour la coopération bilatérale, fait le suivi des flux financiers, oriente l’action publique, partage les meilleures pratiques et façonne l’architecture financière mondiale. Il a notamment donné naissance à “l’étalon-or” de la coopération pour le développement qu’est l’Aide publique au développement (APD). Malgré ces succès, le CAD, comme d’autres institutions, a besoin de changer pour mieux répondre aux enjeux de notre temps.
Pour adapter la coopération pour le développement aux défis du développement durable du XXIe siècle, l’OCDE et le CAD ont un rôle clé à jouer dans trois domaines :
Une nouvelle ambition et un cadre modernisé pour l’APD : en soulignant le rôle du secteur privé dans le financement des Objectifs de développement durable (ODD), le Programme d’Action d’Addis-Abeba de 2015 (AAAA) a brouillé la frontière entre intérêts publics et commerciaux, soulevant des questions sur la distinction entre APD et recherche de rentabilité. Des points de vue divergents sur la nature de l’APD – solidarité ou investissement ? – ont émergé. De plus, le concept de biens publics mondiaux, qui sous-tend certains des ODD, remet également en question les contours de la coopération pour le développement. Une nouvelle ambition est nécessaire, adaptée à l’ère des ODD, qui tienne compte de ces visions diverses, pour qu’une APD renforcée dirige les ressources vers ceux qui en ont le plus besoin, tout en encourageant l’investissement.
Une comptabilisation plus extensive des contributions : le champ traditionnel de l’APD ne contient plus tous les efforts de soutien aux ODD. L’OCDE et le DAC ont travaillé à élargir l’inclusivité et la qualité des statistiques de la coopération pour le développement, y compris en y intégrant les pays non-membres du CAD et les organisations philanthropiques. Ils ont également servi d’incubateur à une mesure innovante du Soutien public total au développement durable (TOSSD, pour Total Official Support for Sustainable Development), englobant l’APD, les autres apports du secteur public (AASD), les financements privés mobilisés, la coopération Sud-Sud, la coopération triangulaire et les contributions aux biens publics mondiaux. TOSSD couvre désormais plus d’un million d’activités de 105 prestataires de coopération pour le développement, pour un total de 394 milliards de dollars de décaissements en 2021. D’ici 2024, TOSSD aura complété sa transformation en un Forum international indépendant.
La refonte de la gouvernance de l’architecture financière mondiale : la création du CAD dans les années 1960 visait à renforcer la coordination et l’efficacité entre les fournisseurs d’APD bilatérale. Depuis, le paysage a évolué, avec l’arrivée de nouveaux acteurs de la coopération issus du Sud Global, des organisations philanthropiques et des investisseurs privés. Plus de 40 % des flux d’APD des membres du CAD passent désormais par le système multilatéral via plus de 200 organisations ou fonds globaux. Cette fragmentation entrave l’efficacité du système. Tout en restant un pilier de ce dernier, le CAD doit devenir plus inclusif et ouvert sur le monde, en accélérant notamment ses initiatives régionales – comme avec les pays arabes ou d’Amérique Latine et des Caraïbes – et l’amélioration de la coordination du financement multilatéral par ses membres.
Alors qu’approchent le Sommet de l’avenir de 2024 et la quatrième Conférence sur le Financement du Développement de 2025, l’OCDE et le CAD sont prêts à mettre en œuvre cet agenda de réforme en trois volets. Leur objectif : consolider leur rôle d’acteurs clés de l’architecture financière mondiale en transformation. L’OCDE s’engagera activement dans les discussions de réforme au sein de divers forums – ONU, G7, G20, COP, réunions annuelles de la Banque mondiale/FMI – afin de mobiliser les ressources nécessaires pour atteindre les ODD en vue d’un avenir plus équitable pour tous.