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Les politiques d’adaptation au changement climatique doivent prendre en compte les déplacements forcés


Par Jason Gagnon, Chef d’unité, Migration et compétences, Centre de développement de l’OCDE, et Jens Hesemann, Conseiller principal en politiques, Direction de la coopération pour le développement de l’OCDE


Un ensemble de facteurs interdépendants poussent les populations à se déplacer de force. Parmi ces facteurs, les effets du changement climatique ont aujourd’hui une importance qu’ils n’avaient pas lors de l’élaboration de la Convention relative au statut des réfugiés en 1951.  Conséquence : les personnes déplacées aujourd’hui par les effets du changement climatique n’entrent pas dans le champ d’application de la Convention. 

Or les déplacements induits par le climat risquent d’augmenter de manière significative : environ 3.3 à 3.6 milliards de personnes vivaient en 2022 dans des contextes très vulnérables au changement climatique. La population mondiale exposée aux inondations fluviales, par exemple, augmentera de 120 % si le réchauffement climatique augmente de 2 °C, et l’on estime que ces inondations sont déjà à l’origine de 10 millions de déplacements internes chaque année. 



Des efforts sont déployés pour faire face aux déplacements liés au climat, mais ils sont cloisonnés et fragmentés, avec des lacunes persistantes, des chevauchements et une absence de hiérarchie claire. Les réponses actuelles aux déplacements forcés sont en grande partie de nature humanitaire, même si la plupart des déplacements sont non seulement prolongés, mais probablement permanents dans le cas des déplacements liés au climat. Par conséquent, ayant un fort impact sur l’avenir de notre planète, les déplacements induits par le climat exigent une approche plus structurelle, à long terme et axée sur le développement, parallèlement aux réponses humanitaires. Les pays doivent intégrer ces déplacements dans les priorités qu’ils définissent en matière de développement et d’adaptation au climat.

Comment les pays fixent-ils leurs priorités en matière d’adaptation au climat ?

Les priorités nationales en matière d’action climatique sont fixées par deux engagements distincts pris par les pays lors des précédentes conférences des parties (COP) :

  • Les plans nationaux d’adaptation (PNA), établis en 2010 lors de la COP16 à Cancún, en tant qu’éléments du cadre d’adaptation de Cancún, sont soumis par les États en développement pour détailler leurs priorités et stratégies d’adaptation à moyen et long terme. Il s’agit d’outils permettant d’identifier et de hiérarchiser les besoins en matière d’adaptation, ainsi que d’approuver les stratégies et les actions visant à répondre à ces besoins.
  • Les contributions déterminées au niveau national (CDN), fixées cinq ans plus tard, en 2015, lors de la COP21 à Paris, sont des plans d’action climatique visant à réduire les émissions et à s’adapter aux effets du climat. Tous les pays sont tenus d’établir une CDN et de la mettre à jour tous les cinq ans, dans le cadre de l’Accord de Paris.

Les deux représentent des engagements en matière d’adaptation, mais à des niveaux différents. Alors que les PNA visent à intégrer explicitement l’adaptation dans les processus de planification au niveau national, les CDN ont une portée plus large et fixent des objectifs nationaux pour relever les défis du changement climatique, y compris des mesures d’adaptation. Parmi ces mesures, citons le déplacement de la capitale indonésienne de Jakarta à Nusantara, la construction d’une muraille verte au Sahel et en Afrique de l’Ouest, l’identification et la protection ultérieure des réserves d’eau au Mexique et la création d’outils financiers de gestion des risques de catastrophe en Afrique.

Il faut souligner que les PNA et les CDN sont conçus pour définir les priorités, les objectifs et les engagements nationaux, ainsi que pour justifier et enregistrer les besoins de financement de la lutte contre le changement climatique auprès des partenaires internationaux. Ils ont donc également une importance politique et opérationnelle pour la mobilisation des ressources, y compris auprès des fournisseurs de coopération au développement tels que les membres du Comité d’aide au développement (CAD), en vue d’une action d’adaptation au changement climatique. 

Enfin, les deux séries de plans reposent sur le principe selon lequel nous devons nous adapter au changement climatique, et protéger les lieux et les moyens de subsistance auxquels nous tenons. Ils soulignent surtout la nécessité de se préparer et de réagir, et pas seulement de prévenir ces changements. Compte tenu de leur augmentation, il est donc essentiel de mieux se préparer aux déplacements induits par le climat.

Comment les déplacements forcés sont-ils pris en compte dans les engagements en matière d’adaptation au changement climatique ?

En analysant 42 PNA et 166 CDN, l’OCDE a observé qu’en 2023, seulement 36 % des pay mentionnent les déplacements forcés. Le constat est plus favorable pour les PNA : 48 % des États y incluent des dispositions concrètes sur les déplacements liés au climat, contre 14 % dans les CDN.

Lorsqu’ils traitent de la question des déplacements forcés, les PNA et les CDN révèlent les problèmes suivants :

  • L’absence d’engagements concrets, d’objectifs et d’actions tangibles pour lutter contre les déplacements forcés liés au climat.
  • La non-prise en compte des préoccupations des réfugiés et des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, qui sont parmi les plus vulnérables et qui vivent souvent dans des zones exposées au risque de changement climatique.
  • Le manque de lien entre les déplacements et les pertes et dommages (P&D).

L’inclusion des déplacements forcés dans les PNA et les CDN nécessite de mobiliser une volonté politique dans les pays touchés par le changement climatique et d’instaurer la confiance entre ces pays et leurs partenaires de développement, par le biais d’un engagement pluriannuel prévisible. Lorsque les pays et leurs partenaires prennent des engagements fermes et applicables, la volonté politique peut être mobilisée au fil du temps. Alors que s’annoncent le Forum mondial sur les réfugiés de 2023 et la COP28, un engagement à mieux intégrer les déplacements forcés dans les PNA et les CDN réaffirmerait la volonté de s’attaquer aux liens complexes entre la migration, les déplacements forcés, le développement et le changement climatique.

Par où commencer ?

  • Faire en sorte que les bonnes personnes discutent ensemble. Les PNA et les CDN sont généralement dirigés par des experts en environnement. Et non par des spécialistes des déplacements internes, ni des finances, ni de la mise en œuvre technique. Ces personnes doivent également être présentes à la table des négociations.
  • Créer des synergies. Des opportunités sont à portée de main. Étendre les initiatives en cours à l’adaptation au changement climatique et aux déplacements induits par ce dernier, pourrait apporter des bénéfices immédiats. Et les nouveaux programmes devraient faire le lien entre ces deux problématiques. Au-delà des PNA et des CDN, les déplacements forcés devraient être explicitement inclus dans les plans de développement, ainsi que dans les initiatives visant la réduction des risques de catastrophe et de résilience.
  • Penser à long terme et de manière exhaustive. Les préoccupations liées au changement climatique s’inscrivent dans le long terme. Aborder la question des déplacements forcés dans les PNA et les CDN ne consiste pas seulement à les intégrer dans un document de politique publique. Il s’agit d‘anticiper les conséquences à long terme de l’installation de personnes déplacées dans des endroits qu’elles connaissent mal, et d’associer ces populations aux projets d’avenir du pays. Il faut donc s’attaquer aux causes profondes des déplacements forcés dus au climat, mais aussi à l’intégration durable des populations dans de nouveaux territoires, à leur protection sociale, à leur santé et à leur éducation, ainsi qu’à leurs moyens de subsistance.
  • Dépasser les frontières. Les préoccupations liées aux déplacements forcés dus au changement climatique ne se limitent pas aux frontières nationales. Les personnes sont déplacées au-delà des frontières et se mêlent aux flux migratoires. Le changement climatique étant un phénomène mondial, les plans d’adaptation tenant compte des déplacements devraient également être abordés aux niveaux régional et mondial, en offrant un espace d’apprentissage mutuel, de coordination et d’adéquation.

Enfin, l’inclusion des déplacements induits par le climat dans les priorités des pays et de leurs partenaires doit faire l’objet d’un suivi dans le temps. On sait peu de choses sur l’intégration des personnes déplacées de force dans les services nationaux et l’économie formelle. Soutenir les pays concernés, en surveillant les données socio-économiques ventilées sur les déplacements, nous permettra d’être mieux informés et de prendre de bonnes décisions, y compris en ce qui concerne les efforts en faveur de l’action climatique.


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