Africa sport investment development matters

Investir dans l’industrie du sport en Afrique : un levier de développement inexploité


Par Will Mbiakop, Président exécutif, African Sports and Creative Institute et Federico Bonaglia, Directeur adjoint, Centre de développement de l’OCDE


Le marché du sport représente aujourd’hui environ 5 % du PIB mondial, avec une croissance annuelle de 4 % à l’échelle mondiale entre 2015 et 2020. L’écrasante majorité de cette richesse est cependant concentrée en Amérique du Nord et en Europe, et certaines régions du globe restent sur la touche. Pour réaliser le potentiel inexploité de l’industrie du sport comme levier de développement en Afrique, il faut faire connaitre les opportunités économiques qu’elle recèle, tout en améliorant le cadre général de l’investissement, le sujet au cœur du rapport Dynamiques du développement en Afrique 2023 : Investir dans le développement durable.

Le sport en Afrique, héritage et enjeu d’avenir

À l’échelle du continent africain, le sport ne représente en effet que 0.5 % du PIB. Question de culture ? Difficile à croire, tant l’exercice physique – des navétanes sénégalaises aux rites de passage au Rwanda – fait partie intégrante de l’ADN de l’Afrique. Un tel écart s’expliquerait plus vraisemblablement par un manque d’engagement de la part des grands acteurs, notamment financiers, qui ne voient pas ou ne prennent pas toujours au sérieux le potentiel du continent. Pour Masai Ujiri, premier président africain (Nigeria) d’un club NBA, Toronto Raptors : « plus d’investissements, moins d’aumônes ; voilà ce que souhaite l’Afrique ».



Le sport a de tous temps été pratiqué dans les sociétés traditionnelles africaines. Véritable outil de développement humain, il est notamment utilisé pour accompagner les jeunes dans la transition du statut d’adolescent à celui d’adulte ou de guerrier dans la société. Le jukskei, le nzango, le tir à l’arc, l’awale, le saut ou les différentes formes de lutte sont autant de sports authentiquement africains qui ont précédé l’arrivée des sports dit « modernes » comme le football, le basketball ou le rugby.

Transformer l’essai : le sport comme levier de développement

Face aux grands défis du continent et de la planète, le sport est un élément de réponse aux objectifs de développement durable, notamment la santé et le bien-être (ODD 3), l’égalité des genres (ODD 5), l’éducation (ODD 4) mais aussi la croissance économique (ODD 8), la lutte contre la pauvreté (ODD 1) et la réduction des inégalités (ODD 10). Ces aspects économiques méritent d’être creusés : les études de la Banque mondiale montrent que les économies africaines les plus diversifiées offrent les taux de croissance les plus élevés, ainsi que les indices de développement humain (IDH) les plus attractifs. À l’échelle du continent africain, 29 millions de jeunes de 15 à 29 ans entreront chaque année sur le marché du travail d’ici 2030 en moyenne et auront besoin de trouver un emploi. Il est donc primordial de trouver de nouvelles sources de croissance et d’emploi, indépendantes de l’extraction des ressources naturelles. La jeunesse africaine représente une part croissante de la jeunesse mondiale : les projections annoncent qu’en 2100, un tiers de la population totale sera africaine. L’enjeu est donc planétaire !

Un certain nombre de défis ralentissent le développement de l’économie du sport en Afrique : le manque d’investissement et d’accès à celui-ci, un capital humain peu formé, une faible gouvernance, ou encore le manque d’infrastructures.

Le sport : un secteur économique à part entière

Cependant, depuis peu, on assiste à l’émergence de projets d’investissement de grande ampleur : la construction du Stade du Sénégal (280 millions USD) ou de la Kigali Arena (108 millions USD) ; la création de la CAF Champions League, dont le montant des dotations à répartir entre les participants s’élèvera à 100 millions USD ; l’investissement de 110 millions de USD d’un conglomérat égyptien dans l’académie de football Right to Dream de Tom Vernon ; ou encore les magasins Decathlon qui auraient investi autour de 80 millions USD en Afrique et dont les chiffres de croissance annuelle sont impressionnants.

En 2018, l’équipe nationale de football du Nigéria, en collaboration avec Nike, avait vendu plus de 3 millions de maillots en une heure. La cause de ce record : le design du produit, qui reprenait les motifs des tenues traditionnelles aux couleurs du pays. Le grand public africain attend du secteur du sport qu’il puise son inspiration directement dans les racines culturelles du continent et affirme sa propre identité à l’échelle mondiale.

Ces projets illustrent la diversité de la chaîne de valeur du sport – infrastructures, académies sportives, merchandising, championnats professionnels, jusqu’à l’intersection du sport et du divertissement : le « sportainment ». Ils prouvent que les leaders du secteur privé africain commencent à s’approprier l’énorme opportunité que représente le secteur du sport. Contrairement aux a priori, les Africains sont prêts à dépenser pour consommer la culture sous toutes ses formes.

Faire de l’Afrique un haut lieu du sport à l’échelle mondiale

Pour réussir, le modèle doit être authentiquement africain. C’est aussi ce que défend Constant Nemale, fondateur d’Africa24. Créée en 2009, cette chaîne d’information offre aujourd’hui un bouquet sport (Africa24 Sport) et divertissement (Africa24 Infinity) exclusivement consacré aux championnats, concerts et festivals africains. M. Nemale estime que ce sont des centaines de millions qui méritent d’être investis dans le domaine des médias du sport, où les services de streaming constituent l’une des opportunités les plus rentables.

Au Togo, le média NewWorld TV a marqué les esprits en devenant la première chaîne africaine à s’attribuer les droits de la Coupe du monde de football 2022, devant Canal Plus. La production et la diffusion de la Coupe du monde ont été de grande qualité, ponctuées par du contenu local en langue locale, et avec des anciennes célébrités du foot africain comme consultants. New World TV et Africa24, comme les autres réseaux et médias, sont des vecteurs primordiaux de croissance du secteur. Leur portée auprès des fans est essentielle au rayonnement des clubs et autres détenteurs de droits : ils apportent ainsi au secteur une grande visibilité et, bien entendu, des sponsors. 

Réinventer le sport africain de demain

Aujourd’hui, seulement 1 % des montants mondiaux du sponsoring sportif sont investis en Afrique. Pourtant, le potentiel commercial y est énorme, avec une population de 1.4 milliard de personnes à l’échelle du continent, dont la moitié a 19 ans ou moins, et une classe moyenne en expansion. Mais commercialiser le sport avec succès, aussi bien le sport professionnel que le sport de masse, exige de réunir plusieurs conditions.

Dans le livre Économie du sport en Afrique, l’African Sports and Creative Institute (ASCI) présente 16 recommandations divisées en trois catégories : 

  • L’Afrique dispose d’un atout unique : son capital humain. L’éducation est donc primordiale. 
  • Le manque de données pénalise la compréhension et l’analyse du marché, ainsi que la prise de décision stratégique. Il faut donc former et informer ! 
  • La majorité des revenus liés au sport vient, contrairement aux idées reçues, du sport de masse. Effectivement, c’est la consommation des ménages qui fait l’économie du sport. Il faut donc faire du sport de masse le pilier de cette économie et appréhender le sport comme un produit commercial. Ceci nécessite une professionnalisation des acteurs du secteur.

Enfin, il s’agira de réinventer la gouvernance du sport africain et de créer des modèles économiques authentiquement africains permettant de déployer un environnement des affaires — fiscal, légal, financier — favorable à la croissance de l’économie du sport. 

L’Afrique a tout pour devenir un haut lieu du sport à l’échelle mondiale. Désormais, pour faire fructifier cet immense potentiel, la balle est dans le camp des décideurs et des investisseurs.


Ce blog s’appuie sur une réunion d’experts sur l’investissement dans l’industrie du sport en Afrique, qui s’est tenue le vendredi 27 janvier 2023 à l’OCDE. L’événement était organisé par l’African Sports and Creative Institute (ASCI) et le Centre de développement de l’OCDE, en partenariat avec SouthBridge Investments et Nkomkana Sports Funds.

Références