Uzhhorod, Ukraine - February 26, 2022: Ukrainian refugees with things rush to the Slovak border fleeing Russian aggression against Ukraine

La comptabilisation des coûts des réfugiés dans l’aide publique au développement : ce qu’il faut savoir


Par Carsten Staur, Président du Comité d’aide au développement (CAD)


Pourquoi certains membres du CAD déclarent-ils une partie du coût de l’accueil des réfugiés dans leur propre pays comme aide publique au développement (APD) ? C’est une bonne question. Voici la réponse.

Le 12 avril 2023, l’OCDE a publié les données préliminaires sur l’APD en 2022 [voir le communiqué de presse] qui montrent une multiplication par trois des “coûts des réfugiés dans les pays donneurs”, c’est-à-dire le coût de la première année d’accueil des réfugiés et des demandeurs d’asile dans les pays donneurs. De 2021 à 2022, ces coûts sont passés de 4,6 % à 14,4 % de l’APD.

Pour les donneurs européens en particulier, cette évolution est principalement due à l’augmentation significative du nombre d’Ukrainiens cherchant à fuir l’attaque brutale et illégale de la Russie contre leur pays. Le coût total de l’accueil des réfugiés –d’Ukraine et d’autres pays– notifié par les donneurs dans tous les États membres du CAD s’élevait ainsi à 29,3 milliards USD en 2022. C’est le montant le plus élevé jamais enregistré par les membres du CAD, supérieur même au pic de 2015-2016, lorsqu’il atteignait 16 milliards USD (11 % de l’APD).


Le graphique montre l’évolution du volume des coûts des réfugiés pris en charge par les donneurs depuis 1992, date à partir de laquelle une collecte systématique des données a eu lieu. Il illustre également l’évolution de la part des coûts des réfugiés financés par les donneurs en pourcentage de l’APD totale. À noter : les données pour 2022 sont préliminaires.

Les règles du CAD de l’OCDE permettent depuis des décennies à ses membres de déclarer le coût des réfugiés dans les pays donneurs au titre de l’APD. Des instructions spécifiques ont été introduites pour la première fois dans les Directives de notification du CAD en 1988 : il a alors été convenu que le coût du soutien aux réfugiés des pays en développement arrivant dans les pays donneurs pouvait — la première année de leur séjour- être déclaré en tant qu’APD.

La raison d’être de cet accord est de refléter l’effort financier que représentent l’accueil des réfugiés et le partage des responsabilités avec les pays en développement, où se trouve la grande majorité des réfugiés dans le monde : si des réfugiés somaliens cherchent protection au Kenya, l’aide des donneurs pour partager le coût du soutien à ces réfugiés est bien de l’APD. Si des réfugiés somaliens – ou ukrainiens – cherchent protection en France ou en Allemagne, le même raisonnement peut s’appliquer à juste titre, mais avec certaines garanties, des règles comptables spécifiques pour les flux internationaux et une exigence de transparence.



Le coût d’accueil des réfugiés dans les pays donneurs est un élément exceptionnel dans la notification de l’APD des membres du CAD, et il n’a jamais été envisagé qu’il en soit une composante majeure. Comme le montrent les graphiques, la situation a changé avec l’arrivée d’un nombre exceptionnel de réfugiés en Europe en 2015-16, lorsque ces coûts sont devenus une partie beaucoup plus visible de l’aide fournie par certains membres du CAD. Ces expériences ont conduit le CAD à rechercher une plus grande granularité dans son système de notification, à clarifier les règles de notification et à développer une méthodologie plus précise pour calculer le coût de la prise en charge des réfugiés par les donneurs. Les clarifications apportées en 2017 ont permis d’améliorer la qualité des notifications et de développer une méthodologie plus précise pour le calcul des coûts liés aux réfugiés.

Ces clarifications de 2017 précisent que :

1) Les coûts internes aux donneurs ne peuvent être définis comme de l’APD que pour les 12 premiers mois suivant l’arrivée dans le premier pays d’asile. Si, après quelques mois, un réfugié ukrainien se rend dans un autre pays d’asile, cela ne déclenche pas un nouveau cycle de 12 mois pour un nouveau pays d’accueil donneur. Cela aura des conséquences pour la déclaration d’APD en 2023 : les coûts liés à l’arrivée des réfugiés ukrainiens en Europe au début de 2022 ne pourront être déclarés que pour une partie de 2023, même si ces réfugiés devraient rester dans leur pays d’asile tout au long de cette année.

2) Seules les dépenses liées à la subsistance temporaire peuvent être déclarées comme APD. Il s’agit de la nourriture, du logement, de la scolarisation primaire et secondaire ainsi que des frais de santé. Les dépenses liées à l’intégration dans le marché du travail, à la formation professionnelle, à l’éducation au-delà du niveau secondaire, au développement des compétences et à la formation professionnelle ne peuvent pas être déclarées comme APD.

3) Les coûts liés aux demandeurs d’asile déboutés, tels que les coûts de détention et/ou les coûts liés aux retours forcés, ne peuvent être déclarés en tant qu’APD.

Les coûts liés aux réfugiés dans les pays donneurs compliquent leur travail de notification, car ils sont encourus à différents niveaux de gouvernement (État, région, municipalité) et auprès de diverses institutions du secteur public. La Direction de la coopération au développement de l’OCDE (DCD) travaille en étroite collaboration avec les États membres pour valider les processus de chaque pays et les encourager à partager leurs modèles de calcul, afin d’accroître la transparence et la reddition de comptes mutuelle. Le Secrétariat a également encouragé les membres du CAD à faire preuve de prudence lorsqu’ils procèdent à leurs évaluations – à ne pas sur-déclarer et à procéder avec discernement.

Si l’on considère la validation des données de 2022 au cours des prochains mois et les notifications préliminaires d’APD pour 2023, il est clair que les membres du CAD devront faire preuve d’une grande rigueur dans la présentation de leurs données :

  • Ils doivent être stricts sur la règle des 12 mois et ne déclarer que les coûts de subsistance tels que définis par les règles de notification du CAD.
  • Les autorités responsables de la notification de l’APD dans chaque capitale des États membres doivent interagir de manière approfondie avec les autorités nationales concernées – et les collègues des autres pays du CAD – pour s’assurer que les règles de notification du CAD sont strictement appliquées et que les membres adoptent une approche prudente de l’estimation de leurs coûts liés aux réfugiés.
  • Les membres du CAD doivent réfléchir à la meilleure façon de faire face aux fluctuations potentielles du coût des réfugiés accueillis par les donneurs à l’avenir. Même si ces coûts peuvent être déclarés comme APD, cela ne signifie pas qu’ils doivent l’être. Et même s’ils déclarent les coûts des réfugiés comme APD, les membres du CAD ont toujours la possibilité de décider que ces coûts s’ajoutent à leurs budgets de développement prévus. C’est ce qu’ont fait, par exemple, l’Autriche et l’Allemagne dans leur rapport préliminaire sur l’APD 2022 – ce qui signifie que la prise en charge de ces coûts n’a pas eu d’effet négatif sur les programmes et les contributions d’APD déjà budgétisés.
  • Les membres du CAD peuvent également plafonner ces coûts à un certain pourcentage de leur APD totale, de sorte que seule une partie des coûts à déclarer soit couverte par les budgets d’APD.

Il existe donc une base solide pour comptabiliser comme APD les coûts liés à l’accueil des réfugiés. Pour autant, il n’a jamais été prévu que ces dépenses deviennent une part importante des montants d’APD notifiés par les membres du CAD. La clarification des règles de notification en 2017 a bien contribué à réglementer la notification de ces coûts au cours des années suivantes, mais avec l’agression russe et la crise humanitaire qu’elle a provoquée en Ukraine, on ne pouvait que s’attendre à ce qu’ils augmentent de manière spectaculaire en 2022.

Si le nombre de réfugiés arrivant dans les pays du CAD se stabilise cette année, ces récentes clarifications conduiront à une baisse des coûts des réfugiés pris en charge par les donneurs. Le défi, alors, pour les membres du CAD sera de maintenir – voire d’augmenter – leurs niveaux d’APD de 2022 et de veiller à ce que davantage d’APD soit consacrée à des activités de développement à plus long terme dans les pays les plus pauvres et les plus vulnérables.


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