Par Jason Gagnon, Chef d’unité, Migration et compétences, Centre de développement de l’OCDE, et Jens Hesemann, Conseiller principal en politiques, Direction de la coopération pour le développement de l’OCDE/GPP, équipe Crise et fragilité
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Plus de 100 millions de personnes sont déplacées de force dans le monde aujourd’hui – chiffre jamais recensé auparavant. Les conflits armés, comme la guerre de la Russie contre l’Ukraine, continuent de chasser de plus en plus de personnes de chez elles, la plupart des personnes déplacées restant longtemps dans l’incertitude. Les pays à revenu faible ou moyen (PRFM) accueillent plus de 80% des réfugiés et des personnes déplacées internes dans le monde. Des politiques appropriées dans les pays d’accueil et une coopération au développement efficace permettent de trouver des solutions provisoires pragmatiques pour les personnes déplacées. Ces solutions provisoires sont gagnantes pour les communautés d’accueil comme pour les populations déplacées, l’intégration socio-économique offrant de multiples avantages.
Les solutions durables formelles, telles que le retour volontaire, l’intégration locale ou l’installation ailleurs, restent en effet hors de portée pour la majorité des personnes déplacées. Plus de 74 % de l’ensemble des réfugiés sont déplacés depuis plus de cinq ans. En 2021, seuls 490 000 réfugiés ont pu retourner dans leur pays d’origine ou se réinstaller dans un pays tiers. Encore moins ont pu acquérir la nationalité de leur pays d’accueil. Si les données sont plus floues pour les déplacements internes, nous savons que 56 % des personnes déplacées à l’intérieur du Soudan le sont depuis plus de dix ans et que 80 % de celles déplacées à l’intérieur de la Syrie le sont depuis plus de cinq ans.
Non seulement la fragilité est à l’origine des déplacements forcés, mais les états fragiles accueillent également plus de 60 % de toutes les personnes déplacées de force. Compte tenu des faibles perspectives dans les contextes fragiles d’où ils ont été déplacés, les réfugiés et les personnes déplacées internes ne peuvent ou ne veulent souvent pas rentrer chez eux. En outre, la faiblesse des systèmes de services sociaux dans de nombreux états d’accueil fragiles, souvent associée à des opportunités sociales et économiques limitées et à une instabilité politique, empêche les réfugiés et les personnes déplacées internes de s’intégrer avec succès.
Les situations de déplacement forcé au Venezuela et en Ukraine ont montré qu’il existe d’autres façons de gérer ce déplacement. Dans les deux cas, de nombreux déplacés forcés fuyant les frontières sont désormais en mesure de travailler et d’accéder à des systèmes de services sociaux similaires à ceux des citoyens des pays d’accueil. La charge de la réponse humanitaire est ainsi réduite, les réfugiés peuvent répondre eux-mêmes à leurs besoins et la cohésion sociale est renforcée. Ainsi, en réponse aux 1.8 million de Vénézuéliens arrivant sur son territoire, la Colombie a promulgué le statut de protection temporaire (SPT), qui permet à ces derniers d’obtenir des documents et d’accéder à des droits pendant dix ans. Dans le cas de l’Ukraine, alors que près de 7 millions de personnes ont été contraintes de fuir le pays, l’UE a rapidement activé la directive sur la protection temporaire, permettant aux réfugiés ukrainiens de se déplacer librement dans l’UE et leur accordant un large éventail de droits socio-économiques.
Ce qui ne veut pas dire que ces situations ont été gérées jusqu’à présent sans difficulté, et que la même approche est possible partout. Toutefois, on observe qu’une meilleure inclusion est possible et peut être bénéfique pour les pays d’accueil.
Les programmes de protection sociale sont un moyen de soutenir l’inclusion durable des réfugiés et des personnes déplacées internes dans le tissu socio-économique du pays d’accueil. La protection sociale joue un rôle essentiel dans l’accélération des progrès vers la réalisation des objectifs de développement durable 2030 et permet de ne laisser personne de côté. C’est aussi un élément clé des stratégies nationales visant à promouvoir le développement humain, la stabilité politique et la croissance inclusive.
Depuis l’apparition de la pandémie de COVID-19, l’OIT a recensé 1 700 nouvelles initiatives en matière de protection sociale à travers le monde pour la seule année 2020. En Argentine, au Brésil et au Cameroun par exemple, les personnes déplacées de force bénéficient de programmes gouvernementaux d’assistance sociale pour faire face à la crise de COVID-19.
La politique de protection sociale doit être adaptée pour soutenir les personnes déplacées de force. Cela peut avoir pour effet de réduire les coûts, car les personnes déplacées de force contribuent au financement de l’assurance sociale et au système fiscal plus large du pays d’accueil. Cela ne peut toutefois pas se faire du jour au lendemain. Les systèmes publics de protection sociale des pays à revenu faible ou moyen peuvent avoir du mal à inclure rapidement des bénéficiaires supplémentaires (les déplacés de force), à moins que le système ne soit développé, suffisamment souple et doté de ressources adéquates.
Un récent document d’orientation de l’OCDE et du Groupe d’experts suédois pour les études sur l’aide (EBA) a étudié cette question dans douze pays, mettant en évidence trois conclusions principales. Premièrement, la maturité et l’historique du système de protection sociale dans le pays d’accueil déterminent largement l’efficacité de l’inclusion des personnes déplacées de force. Deuxièmement, si les réfugiés et les personnes déplacées internes ont légalement droit à une protection sociale dans la plupart des pays, très peu en bénéficient réellement. Enfin, il est difficile de dresser un tableau complet de la situation, en raison de l’insuffisance des données.
La nouvelle prometteuse est qu’il existe plusieurs domaines dans lesquels les pays d’accueil et les pays donateurs peuvent travailler ensemble pour permettre une meilleure inclusion des personnes déplacées de force dans les programmes nationaux de protection sociale. Par exemple, les gouvernements des pays d’accueil et leurs partenaires peuvent intégrer plus fermement la protection sociale dans les plans nationaux de préparation aux crises de déplacement. Les donateurs peuvent soutenir le développement de systèmes de protection sociale plus larges et un financement pluriannuel pour l’inclusion des populations déplacées de force. Et l’accès à la protection sociale peut être facilité en incluant les personnes déplacées de force dans les systèmes de gestion des identités et les registres sociaux nationaux.
Quelles sont les prochaines étapes ?
Il est de plus en plus évident que des politiques d’inclusion adaptées et les réponses de développement correspondantes peuvent contribuer à réduire le coût économique des déplacements forcés. Il n’y a pas de solution universelle, car le contexte spécifique et l’économie politique comptent. Une bonne coordination entre tous les acteurs humanitaires, du développement et de la paix est nécessaire. Il faut également davantage de données, d’éléments probants et d’orientations politiques exploitables. Dans de nombreux contextes de déplacement forcé, il semble y avoir un écart important entre la politique mondiale d’une part, et une mise en œuvre pratique réaliste au niveau national et local d’autre part.
Nous devons répondre à un certain nombre de questions. Dans quelle mesure les récentes politiques de bonnes pratiques sont-elles réellement mises en œuvre, notamment le Pacte mondial pour les réfugiés, le programme d’action du Secrétaire général des Nations Unies sur le déplacement interne et la position commune DAC INCAF sur le soutien aux réponses globales dans les situations de réfugiés ? Comment assurer l’alignement entre les pays d’accueil et les gouvernements donateurs ? Comment mobiliser et maintenir la volonté politique en faveur de la bonne approche de la gestion des déplacements forcés ? Comment la protection sociale peut-elle faire partie de la solution lorsque des lacunes aussi importantes existent dans la couverture ?