Par Dimitri Sanga, Directeur et Enang Moma, Officier national du programme en sciences naturelles, Bureau régional de l’UNESCO pour l’Afrique de l’Ouest
Considérées comme des « lieux d’apprentissage pour le développement durable », les réserves de biosphère sont aussi des lieux de test des approches interdisciplinaires pour comprendre et gérer les changements et interactions entre les systèmes économiques, sociaux et écologiques. Elles comprennent les écosystèmes terrestres, marins et côtiers et favorisent des solutions conciliant conservation et durabilité de la biodiversité.
Proposées à l’UNESCO par les gouvernements nationaux, elles demeurent sous la juridiction souveraine des États où elles se trouvent. Aujourd’hui, le monde compte 727 réserves de biosphère distribuées dans 131 pays, dont 22 sites transfrontaliers. L’Afrique compte, quant à elle, 86 sites répartis dans 31 pays.
Les réserves de biosphère comme vecteurs de développement
Les réserves de biosphère servent actuellement de « régions modèles pour un développement durable ». Elles visent à atteindre simultanément les trois fonctions complémentaires suivantes:
(i) Conservation : protéger les ressources génétiques, les espèces, les écosystèmes et la diversité culturelle ; (ii) Développement : favoriser le développement économique et humain durable; (iii) Appui logistique : aux projets de démonstration, d’éducation et de formation – en matière d’environnement et de recherche et aux projets de suivi des problématiques locales, nationales et internationales de conservation et de développement durable.
Ces trois fonctions sont assurées à travers trois zones principales : l’aire centrale, la zone tampon et l’aire de transition. L’aire centrale consiste en un site strictement protégé de la réserve de biosphère pour la conservation de la biodiversité au sein duquel les activités sont limitées à la recherche et à l’éducation uniquement. La zone tampon qui jouxte l’aire centrale, quant à elle, est utilisée pour des activités compatibles avec des pratiques écologiques saines qui peuvent renforcer la recherche scientifique, la surveillance, la formation et l’éducation. Enfin, l’aire de transition désigne une zone avec une variété d’activités, y compris des activités économiques, allant de la culture de subsistance et de l’élevage à l’agriculture commerciale, au commerce, à l’industrie et au tourisme. Au sein de l’aire de transition, de multiples parties prenantes coopèrent pour gérer et développer durablement les ressources de la réserve.
De la parole aux actes !
L’UNESCO a travaillé pendant cinquante ans avec des partenaires en développement pour utiliser les réserves de biosphère comme lieux d’expérimentation des pratiques compatibles avec le développement durable. Au sein de la réserve de biosphère de Bia, au Ghana, les communautés locales se sont engagées dans des activités de production de champignons, l’apiculture, l’élevage d’escargots et la production d’huile de palme dans la zone de transition. Au total, 235 bénéficiaires directs, dont 91 femmes, y étaient pris en charge et formés notamment à la comptabilité, au marketing et à l’emballage. Ainsi, des petites entreprises et coopératives ont vu le jour, améliorant le bien-être des populations et créant de la richesse et des emplois. Ces activités ont aussi fait bénéficier les communautés de deux autres réserves de biosphère, nommément celles d’Omo au Nigéria et d’Est Usambara en Tanzanie, contribuant ainsi directement à la réalisation des objectifs de développement durable (ODD) 2 (faim zéro), ODD 8 (travail décent et croissance économique) et ODD 15 (vie sur terre).
Dans une autre réserve de biosphère, celle de Mono au Togo, c’est plutôt au phénomène du braconnage que se sont attaquées les populations locales. En effet, l’UNESCO les a accompagnées dans leurs efforts de protection des hippopotames. Au terme des interventions, les populations locales ont adopté des aptitudes visant à protéger les hippopotames et encourager l’écotourisme tout en améliorant leurs revenus.
Dans un tout autre cadre, l’initiative BIOsphèreet patrimoine du lac Tchad vaut d’être mentionnée. Comprenant des activités allant de la mise en place de systèmes d’alerte précoce pour les sécheresses et les inondations, à la restauration des écosystèmes dégradés, l’initiative a joué un rôle important sur les plans économique, social et culturel. Elle a également été mise en œuvre au Cameroun, au Tchad, en République Centrafricaine, au Niger et notamment au Nigéria, où la région Hadejia-Nguru dans le secteur nigérian du Bassin du lac Tchad – Nord-est du Nigeria – a été classée réserve de biosphère de l’UNESCO. Au cours de l’année 2021, plus de 200 membres de la communauté de la réserve de biosphère ont été formés à la pisciculture, la production de volaille et la production intégrée de vergers et d’abeilles, renforçant leur résilience face aux conséquences socio-économiques dévastatrices des conflits, du changement climatique et, plus récemment, de la pandémie de COVID-19.
Tirer profit du potentiel des réserves de biosphères pour un développement durable en Afrique
Les projections du Département des affaires économiques et sociales des Nations unies prévoient qu’en 2050, le continent africain comptera près de 2.5 milliards d’habitants, soit un quart de la population mondiale, et que 35% des jeunes dans le monde seront Africains. Au regard de ces chiffres, il importe d’anticiper et d’explorer les voies et moyens pour propulser le continent sur la trajectoire de la réalisation des ODD et de l’Agenda 2063 de l’Union Africaine. Forte de ce constat, l’UNESCO, tient à encourager ses États membres en collaboration avec ses partenaires, à utiliser les réserves de biosphère, entre autres, pour impulser le développement en Afrique. Afin de tirer au maximum le potentiel offert par les réserves de biosphère comme outils de développement, les gouvernements africains doivent faire des efforts ciblés pour créer des aires protégées tout en ayant des cadres juridiques requis à leur protection. Les pays doivent également renforcer la surveillance des ces aires notamment à l’aide de technologies modernes et élaborer et mettre en œuvre des stratégies idoines. Tout cela contribuera sans doute à faire des réserves de biosphère africaines des outils importants pour la réalisation des ODD et de « l’Afrique que nous voulons ».