De nouvelles perspectives énergétiques pour l’Afrique


Par Arnaud Rouget, Directeur du programme Afrique de l’Agence Internationale de l’Énergie


La pandémie a eu de lourdes conséquences sur le développement énergétique de l’Afrique. Alors que, depuis 2013, le nombre de personnes ayant accès à l’électricité augmentait – mettant ainsi le continent sur la bonne voie pour atteindre l’objectif de développement durable n°7 (« Énergie propre et d’un coût abordable ») d’ici 2030 – ce progrès s’est inversé pour la première fois en 2020. Ainsi, aujourd’hui, 600 millions d’Africains vivent sans accès à l’électricité.

Dans son rapport Africa Energy Outlook 2022, l ’Agence internationale de l’Énergie (AIE) analyse les perspectives et enjeux de l’accès à l’électricité sur le continent africain. Crise alimentaire, hausse des niveaux de dette, impacts du changement climatique, crise globale du secteur de l’énergie… Les défis sont nombreux, mais les opportunités pour l’Afrique le sont tout autant.

Un objectif à l’horizon 2030 : l’accès de tous à des services énergétiques fiables, durables et modernes

« Alors que, depuis 2013, le nombre de personnes ayant accès à l’électricité augmentait, ce progrès s’est inversé pour la première fois en 2020. Ainsi, aujourd’hui, 600 millions d’africains vivent sans accès à l’électricité. »



Ces chiffres sont alarmants, mais ne signifient pas que l’accès universel à l’électricité en Afrique d’ici 2030 est impossible. Les progrès réalisés par certains pays sont impressionnants : le Kenya, le Sénégal et la Côte d’Ivoire ont drastiquement augmenté leur taux d’accès à l’électricité. La prochaine étape : étendre ces avancées à l’ensemble du continent.

Pour cela, il n’y a pas un seul chemin à suivre, il faut être agile et adopter diverses approches. Dans les zones urbaines et périurbaines par exemple, les réseaux existants peuvent être densifiés ou étendus aux zones proches, tandis que les zones reculées peuvent bénéficier d’autres solutions, telles que des mini-réseaux ou des kits solaires.

Second pilier souvent négligé de l’accès universel à l’énergie : la cuisson

Aujourd’hui, en Afrique, environ 1 milliard de personnes utilisent quotidiennement des combustibles et technologies traditionnelles de cuisson, comme le bois de chauffe et le charbon de bois, ou des cuiseurs basiques. Cela engendre des conséquences à la fois sanitaires (fumées toxiques et pollution de l’air, qui touchent majoritairement les femmes et les enfants et donnent chaque année lieu à 4 millions de morts prématurées sur le continent) et environnementales (émissions, déforestation).

Malgré des progrès réalisés dans certains pays, un changement d’échelle sans précédent est nécessaire : il faudrait que 130 millions de personnes obtiennent l’accès à des moyens de cuisson modernes chaque année. Pour cela, encore une fois, il faudra combiner différentes technologies.

Le coût estimé pour rendre ces progrès possibles : 25 milliards USD par an. Malgré ce coût raisonnable (à peu près équivalent au coût de construction d’un grand terminal méthanier, un type d’infrastructure régulièrement construite), les investissements sont aujourd’hui encore loin d’être à la hauteur. En 2019 par exemple, l’investissement était à seulement 13 % de ces niveaux pour l’électricité et seulement 6 % pour l’accès à la cuisson propre.

Il est donc crucial d’attirer davantage d’investisseurs et de monter des programmes avec des effets de levier du secteur public, des prêts concessionnels, des subventions, de la finance climat et de la finance à impact pour attirer des flux financiers du secteur privé.

Le solaire : un enjeu et un potentiel majeur pour l’Afrique

L’Afrique possède environ 60 % des meilleures ressources solaires mondiales. Cependant, moins de 1 % des centrales solaires sont installées sur ce continent : il y a par exemple moins de centrales solaires en Afrique qu’aux Pays-Bas.

Pourtant, le potentiel pour l’énergie solaire est énorme en Afrique. Les énergies renouvelables devraient représenter 80 % des ajouts de nouvelles centrales électriques en Afrique, selon les scénarios de l’Agence Internationale de l’Énergie. Le solaire à lui seul représente 40 % de ces ajouts, et se démarque de loin comme la technologie la plus compétitive en termes de coûts.

Le gaz naturel : un besoin clé pour l’industrialisation

Le gaz naturel est aujourd’hui très marginalement utilisé sur le continent africain. Pourtant, la demande ne cesse d’augmenter : à la fois pour la génération électrique, la production d’engrais pour renforcer la sécurité alimentaire, la désalinisation de l’eau de mer, mais aussi et surtout pour accompagner le développement du parc immobilier et l’urbanisation du continent africain.

D’ici à 2030, on estime qu’il faudra construire 70 millions de bâtiments résidentiels dans les villes d’Afrique, soit l’équivalent de toutes les habitations actuelles en Corée et au Japon. D’après notre modélisation, entre aujourd’hui et 2030, la demande domestique de gaz pour l‘industrialisation comptera pour environ deux tiers de la production des pays africains.

Minerais critiques et hydrogène bas-carbone : des ressources encore sous-exploitées

Pour assurer la transition vers les énergies propres et la neutralité carbone d’ici 2050, de grandes quantités de minerais critiques seront nécessaires. Fabrication d’éoliennes, de batteries, de réseaux électriques, développement de la géothermie… L’essor de ces technologies gourmandes en minerais pourrait faire doubler les revenus liés à l’exploitation minière, actuellement de 20 milliards USD par an. Une opportunité unique pour les pays détenteurs de réserves, qui sont nombreux en Afrique. Pour en arriver là, une recrudescence des investissements d’exploration – qui ont récemment diminué en Afrique – sera nécessaire.

L’AIE a également réalisé une analyse géospatiale afin de déterminer le potentiel des différentes zones d’Afrique en matière de production d’hydrogène bas-carbone. D’après nos modélisations, le continent pourrait produire 5 000 mégatonnes d’hydrogène à moins de deux dollars du kilogramme. Une quantité impressionnante, qui correspond à la demande d’énergie primaire mondiale actuelle.

Attirer les investisseurs pour concrétiser la transformation des systèmes énergétiques

L’Afrique dispose de ressources vastes et multiples. Atteindre le scénario d’accès universel à l’électricité tout en respectant les objectifs de réduction d’émissions et de neutralité carbone à l’horizon de la moitié du siècle est possible, mais une transformation profonde des systèmes énergétiques africains est nécessaire.

Cette dernière devra être portée par une augmentation des flux financiers : aujourd’hui, alors que l’Afrique abrite un cinquième de la population, elle attire moins de 5 % des investissements globaux du secteur de l’énergie. Les investissements énergétiques devront être doublés, et les investissements propres dans les énergies de transition multipliés par 6, avec une combinaison d’investissements publics et privés. À l’approche de la COP27, nous espérons que notre rapport Africa Energy Outlook 2022 permettra d’éclairer les discussions et décisions en matière d’investissements énergétiques pour l’Afrique.


Références :

L’Agence internationale de l’énergie (2022), Africa Energy Outlook 2022, IEA, Paris – Résumé en français

Ce blog s’appuie sur la présentation faite par Arnaud Rouget, Directeur du programme Afrique de l’Agence Internationale de l’Énergie, lors du Webinaire de l’Alliance des Patronats Francophones intitulé Nouvelles perspectives énergétiques pour l’Afrique, le 20 septembre 2022.

Autre webinaire sur le sujet de l’énergie, organisé dans le cadre des 60 ans du Centre de développement de l’OCDE le 20 octobre 2022 : Accès à l’énergie ou transition vers une économie sobre en carbone : faut-il choisir ?