Mieux planifier les infrastructures urbaines pour accélérer la transformation structurelle des économies


Par Alain Tchibozo, Chef Économiste de la Banque Ouest Africaine de Développement – BOAD, avec la collaboration de l’équipe des Économistes chargés de la Stratégie et des Études 


Avec la croissance démographique la plus rapide de toutes les régions du monde (2,63% par an contre 1,15% pour l’Asie du sud), l’Afrique sub-saharienne enregistre également une croissance soutenue de son taux d’urbanisation. Actuellement de 41,4% contre 31,4% en 2000, ce taux atteindra 50% en 2035 et pourrait se rapprocher de 60% vers 2050. L’accroissement naturel de la population suivi d’un afflux de populations rurales vers les villes accélèrent le développement de villes intermédiaires, de grandes villes, voire de mégapoles mal préparées à accueillir ces populations nouvelles.

Cette surcroissance de la population urbaine pose des défis multiples : besoins accrus d’infrastructures, notamment en matière de logement, d’éducation, de santé, d’assainissement et de transport, d’énergie et d’approvisionnement en eau. La nécessité de créer rapidement des emplois productifs et décents étant l’un des plus gros défis.

En effet, s’il est aisé pour les pouvoirs publics de projeter les évolutions démographiques, la situation s’avère complexe quant à la planification des infrastructures de base pour l’amélioration des conditions de vie de ces populations.



L’Afrique en offre une illustration édifiante : malgré une croissance économique soutenue au cours des deux dernières décennies (4,2% en moyenne annuelle sur 2001-2020), le continent n’a pas encore pu réaliser la transformation de sa structure économique et de gouvernance des institutions nécessaire pour s’industrialiser en vue d’éliminer la pauvreté et de créer des emplois productifs et décents pour sa population.

Les pays de l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) tentent d’apporter une réponse innovante à cette problématique : résoudre la question du déficit en infrastructures à travers le développement d’importants programmes d’infrastructures structurantes aussi bien régionaux que nationaux.

Au plan régional, un programme économique a été mis en œuvre permettant la construction ou la rénovation, entre autres, de routes, d’aéroports, de ports, etc. Une autre initiative régionale pour l’énergie durable vise, à l’horizon 2030, un taux d’accès de 100% à l’électricité à des prix bas ainsi qu’un accroissement à 82% de la proportion des énergies renouvelables et durables dans le parc de production électrique de l’UEMOA. Enfin, un programme pour l’agriculture et la sécurité alimentaire œuvre à assurer une meilleure mécanisation de l’agriculture.

Au plan national, les États ont développé d’ambitieux programmes nationaux de développement ou d’émergence économique à l’horizon 2030 soutenus par des investissements structurants dans diverses infrastructures de base ou productives.

Des aléas entravent la mise en œuvre des projets d’infrastructures

En raison des longs délais s’écoulant entre la phase de conception et la mise en œuvre des projets, les innovations technologiques intervenues entre temps rendent obsolètes celles initialement identifiées. L’évolution des normes et règlementations ont aussi parfois le même impact.

Par exemple, un projet de construction d’une centrale électrique à charbon conçu il y a 20 ans, n’est plus réalisable aujourd’hui compte tenu des ODD définis selon les critères COP 26. Il en va également de l’évolution rapide de la téléphonie mobile et du numérique, au cours des 10 dernières années, qui rend quasi obsolètes les projets d’extension des réseaux de téléphonie fixe initiés au cours de la décennie précédente.

La plupart des projets nécessitent un partenariat avec le secteur privé dans un cadre législatif et règlementaire stabilisé, articulé autour d’institutions de régulation nécessaires à leur mise en œuvre. Or, même lorsque les institutions de régulation existent, elles sont parfois inefficaces. À titre d’exemple, on peut citer l’UEMOA qui peine à mettre en œuvre des projets de partenariats public-privé (PPP) impliquant plusieurs pays, faute d’un cadre réglementaire harmonisé.

Beaucoup de projets souffrent aujourd’hui de l’inexistence d’études de faisabilité, ce qui rend difficile le positionnement des partenaires financiers. L’absence d’une approche programmatique dans le cadre de la réalisation de projets d’infrastructures fondée sur la croissance démographique et les objectifs de développement empêche d’optimiser les avantages entre projets complémentaires.

Par exemple, il serait possible de procéder à un aménagement hydro agricole dans une région pour la production de fruits et légumes et d’y associer le renforcement du réseau électrique pour faciliter l’installation d’unités de transformation proche des lieux de production. À cela pourrait s’ajouter l’aménagement de routes et de pistes rurales permettant l’évacuation de la production vers les centres urbains de consommation.

Cependant, plusieurs projets, pourtant complémentaires, sont pilotés par des ministères sectoriels qui travaillent en silos. Ceci empêche d’avoir une vue holistique de la conduite des projets avec une mutualisation des compétences et la suppression des doublons.

Créer une unité de coordination intersectorielle et indépendante de planification des infrastructures

Pour les pays de l’UEMOA, la solution pourrait être de se doter chacun d’un organe indépendant et pluridisciplinaire de sélection, de planification et de suivi systématique des projets d’envergure, à l’instar du Comité Présidentiel de Coordination des Infrastructures en Afrique du Sud. Cet organe pourrait avoir la charge de constituer un portefeuille de projets à réaliser sur 25 ans, portefeuille actualisé tous les 5 ans, et les gouvernements y puiseraient les projets prioritaires à 5 ans pour leurs plans d’action.

Ceci pourrait avoir comme avantage, entre autres, la diminution du nombre de projets politiques ne répondant pas forcément à des impératifs de développement.

Un tel comité, en liaison avec les ministères sectoriels, serait en charge de coordonner les études de faisabilité et d’impact environnemental et social des projets d’infrastructures ainsi que leur cohérence avec les cibles des Objectifs de développement durable de l’Agenda 2030 en matière de réalisation d’infrastructures durables et résilientes.

Les banques régionales de développement pourraient accompagner ces comités par leur expertise et aussi financer la réalisation des études de faisabilité des projets pour les porter à maturité à travers des fonds fiduciaires dédiés, abondés notamment par des mécanismes internes de mobilisation de ressources communautaires.

Un accent particulier devra être mis sur la qualité et la résilience des infrastructures financées en intégrant les principes agréés au plan international tels que les Principes du G20 pour les investissements dans des infrastructures de qualité ou en lien avec les travaux de certification du label de qualité du programme pour le développement des infrastructures en Afrique.