Transformation productive en Afrique : l’heure des choix

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Par Arthur Minsat, Chef d’Unité, Europe, Moyen-Orient & Afrique, Centre de développement de l’OCDE


Ce blog fait partie d’une série marquant
le 19e Forum économique international sur l’Afrique


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Photo by Patrick Sun on Unsplash

Croissance mondiale en baisse, guerre commerciale, automatisation, robotisation … : le commerce international a-t-il encore un rôle positif à jouer dans la transformation des économies de l’Union africaine ?

Si l’on regarde du côté des marchés africains, la réponse est oui : la demande interne a contribué à 69% de la croissance du continent depuis 2000, la maintenant à une moyenne de 4.6% par an, soit la plus rapide au monde après l’Asie (7,4%). Or, cette demande dynamique, portée par une croissance démographique forte, l’urbanisation et l’émergence de « classes moyennes » s’oriente de plus en plus vers des produits transformés comme l’alimentation, les boissons, la viande ou les machines génératrices d’électricité : l’un des principaux obstacles à l’émergence d’un secteur manufacturier africain riche en emplois—la faiblesse de la demande domestique—est ainsi en passe d’être levé !  Or non seulement cette « mégatendance » s’installe pour plusieurs décennies, mais elle prend de l’ampleur au moment où la perspective d’une Zone de Libre-échange Continentale Africaine (ZLECA) rend possible un bond du commerce intra-africain.
La contrainte de la demande étant desserrée, qu’en est-il du côté de l’offre ? Les entreprises africaines sont-elles à même de répondre à cette demande dans leur sous-région et dans tout le continent ? Là le diagnostic est plus réservé : ces opportunités ne sont aujourd’hui saisies que par quelques « champions panafricains ». Le plus connu est le groupe de l’homme le plus riche d’Afrique, le nigérian Dangote, implanté dans une vingtaine de pays. Parti du ciment, celui-ci s’est diversifié dans l’agroalimentaire, l’immobilier, la logistique portuaire, le textile, les télécommunications, la production d’engrais et récemment le pétrole. Ses revenus annuels dépassent les 4 milliards USD en 2017.

Autre exemple : au Maroc, l’Office Chérifien des Phosphates, premier producteur au monde, emploie directement plus de 20 000 personnes et représente au moins 10 % des recettes fiscales du pays. Enfin, MeTL (Mohammed Enterprises-Tanzania Limited) s’est diversifié dans une quinzaine de secteurs, employant 24 000 personnes, avec un chiffre d’affaires de 1.3 milliard USD, contribuant pour environ 3.5 % au PIB de la Tanzanie.

Derrière ces grands gagnants, pourtant, les statistiques disponibles indiquent que la majorité des producteurs africains perdent du terrain. Les exportations intra-africaines de biens de consommation ont reculé de 12.9 milliards USD à 11.8 milliards entre 2009 et 2016. En proportion du PIB du continent, elles sont passées de 0.8 % à 0.5 %. Seuls 18 % des nouvelles entreprises exportatrices africaines survivent au-delà de leur troisième année, contre 22 % dans les autres pays en développement. La productivité en Afrique rapportée à celle de l’Asie est passée de 67 % en 2000 à 50 % en 2018, et stagne à 12 % de la productivité des États-Unis.

Il est urgent pour les États d’inverser la tendance et permettre à l’offre de rencontrer la demande, en donnant les moyens aux PME exportatrices d’Afrique d’augmenter leurs ventes sur ce marché continental décloisonné en rapide expansion, de monter en gamme et ainsi rattraper le petit peloton de tête des « champions ». Alors le pari de la transformation productive pourra être gagné.

Quelles chaines de valeur régionales ?

Seule une vingtaine de pays d’Afrique et quatre Communauté Économiques Régionales sur huit ont une stratégie d’industrialisation. Mais la plupart visent les mêmes secteurs (agroalimentaire, transformation des métaux). Notre analyse identifie les avantages comparatifs suivants dans les cinq régions d’Afrique :

Afrique centrale : transformation du bois
Afrique de l’Est : tourisme
Afrique du Nord : textile et confection
Afrique australe : chaîne automobile Afrique de l’Ouest : industrie du cacao

Source : Dynamiques du Développement en Afrique 2019

Afin de les guider dans cet effort, les équipes de la Commission de l’Union Africaine et du Centre de Développement de l’OCDE viennent de terminer l’analyse des expériences de leurs pays membres. Elles ont ainsi pu identifier au moins trois rôles essentiels pour les politiques publiques.

Tout d’abord, favoriser la constitution de pôles d’entreprises pour mieux exploiter les avantages comparatifs des pays et des régions (voir encadré). Ces pôles permettent aux gouvernements d’investir leurs ressources limitées dans une zone dédiée, au lieu de les disperser. La forte densité d’entreprises y favorise les transferts de technologie et—à condition que les écosystèmes locaux aient la capacité d’absorption—attire les investissements directs étrangers (IDE). L’Éthiopie a ainsi développé de nombreux pôles comme l’Eastern Industry Zone et le parc industriel d’Hawassa misant sur le textile, la confection ou l’industrie de la chaussure.

Deuxièmement, ces pôles d’activité doivent garantir un environnement propice. D’abord par la stabilité politique et macroéconomique, et la fiabilité du cadre réglementaire, dont notre enquête montre qu’ils comptent plus pour attirer les IDE que la faiblesse des taux d’imposition ou la modération des coûts salariaux. Ensuite ces pôles doivent permettre l’accès à des infrastructures et des services commerciaux de qualité : salons dans les zones économiques spéciales (Éthiopie), agences de promotion des investissements (sous la responsabilité du chef d’État en Ouganda) ou mise en relation de producteurs avec des fournisseurs, des centres de recherche, etc. (Afrique du Sud).

Enfin, les agences de promotion des exportations doivent différencier leurs appuis aux entreprises suivant les marchés qu’elles visent. Cibler les marchés mondiaux demande d’importants investissements fixes, apanage d’entreprises déjà bien établies. Mais aider les entreprises plus jeunes à cibler les marchés africains génère également d’importants bénéfices : diversification des produits et des destinations, montée en gamme, renforcement des capacités, etc. Ainsi, 44 % des exportations sénégalaises vont en Afrique, soit le troisième taux le plus élevé du continent, après le Togo et le Zimbabwe. Lorsqu’elles exportent vers les marchés régionaux—en Afrique de l’ouest dans 8 cas sur 10—plutôt que ceux de l’OCDE, les entreprises du Sénégal ont une probabilité supérieure de 8 % de s’orienter vers des produits plus sophistiqués. La valeur de ces exportations a été multipliée par 5.8 en 10 ans. Pour mieux exploiter ses avantages comparatifs, le Sénégal a créé l’an dernier cinq centres de formation pour agriculteurs, mettant à disposition terrain, accès à l’eau, entrepôts et divers dispositifs de commercialisation et de conditionnement.

Les PME exportatrices d’Afrique sont le fer de lance de la transformation productive du continent. L’explosion de la demande sur les marchés d’Afrique est l’opportunité qui leur manquait jusqu’à présent de se développer à grande échelle. Une opportunité à saisir d’urgence : aux gouvernements de leur en donner les moyens, par des politiques publiques ambitieuses, co-créées avec les acteurs économiques.