Face au COVID-19, les leçons d’Ebola et du secteur minier en Guinée

Par Nava Touré, Conseiller principal auprès du Ministre des Mines et de la Géologie, République de Guinée, et Ruya Perincek, Analyste des politiques, Ressources naturelles pour le développement, Centre de développement de l’OCDE


Ce blog fait partie d’une série sur la lutte contre le COVID-19 dans les pays en voie de développement. Visitez la page dédiée de l’OCDE pour accéder aux données, analyses et recommandations de l’OCDE sur les impacts sanitaires, économiques, financiers et sociétaux de COVID-19 dans le monde.


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Alors que les pays à travers le monde, connaissent des réponses diversifiées à la pandémie de COVID-19 et anticipent des conséquences économiques sévères, la Guinée s’appuie essentiellement sur l’organisation qui a fait ses preuves pendant l’épidémie d’Ébola de 2014-2015 : des structures institutionnelles pour répondre aux crises sanitaires, en collaboration avec les partenaires internationaux et le secteur minier qui joue un rôle important dans l’économie nationale.  Cette expérience dans la réponse aux crises sanitaires et les mécanismes établis dans les contrats et conventions minières pour le contrôle des revenus tirés par l’État pourraient mettre le pays dans une meilleure position par rapport à d’autres pays en développement pour la riposte au COVID-19 et à la crise économique.

La structure mise en place pour gérer l’épidémie d’Ebola a été transformée en l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSS), dont la mission aujourd’hui est notamment de contribuer à la mise en place d’un système national de surveillance et de réponse aux épidémies, urgences et catastrophes et de coordonner les soins aux patients COVID-19. Un comité consultatif composé de diverses parties prenantes, dont des agences des Nations Unies, la Banque mondiale et l’Union européenne, assiste l’ANSS. Un représentant de la Chambre des Mines est également membre. Ce comité aide à coordonner les efforts de réponse et valide les recommandations faites au gouvernement pour assurer l’efficacité de la réponse à la crise.

Les institutions et le système de réponse aux crises rendent aujourd’hui le pays mieux préparé. Pour le moment, aucune mesure générale de confinement n’a été prononcée, à l’exception d’un couvre-feu nocturne décrété pour faciliter le respect de l’ordre de fermeture des lieux publics. La priorité a été donnée à la recherche des contacts. Selon OCHA, la Guinée a un taux de recherche et de suivi des contacts de 88%. Les voyageurs sont contrôlés par des caméras thermiques et doivent se laver les mains avant d’entrer dans le pays. Ils reçoivent une fiche d’information sur les risques de propagation du COVID-19 et sont également tenus de remplir un formulaire sur leur itinéraire et leur état de santé. Si l’on considère le nombre actuel de cas, cette approche semble efficace. Selon l’Université John Hopkins, le pays compte au 4 mai 2020 1586 cas et 7 décès.

Depuis l’épidémie d’Ébola, le pays a ouvert trois centres de traitement, dont des laboratoires capables d’effectuer des tests épidémiologiques, à savoir l’Institut national de santé publique, l’Institut Pasteur et le Centre Nongo. Celles-ci sont actuellement utilisées pour traiter les patients COVID-19. De plus, le pays peut aujourd’hui tirer profit de son expérience en (i) sensibilisation et éducation des populations; (ii) traçage des cas détectés sur tout le territoire national; (iii) suivi des contacts; (iv) isolement sélectif des foyers; (v) surveillance de tous les décès pour identifier les cas non détectés et mettre à jour la base des contacts.

Le secteur minier a joué un rôle important dans la réponse aux crises sanitaires. Cela est important compte tenu de la forte dépendance du pays à l’égard de l’exploitation minière. En 2018, les ressources minérales, principalement l’or et la bauxite, représentaient 87% des exportations de la Guinée. La bauxite est le secteur minier le plus actif, représentant 34% des exportations. Toutes les sociétés minières ont adopté des plans d’urgence sanitaire sur la base de ceux élaborés pendant la précédente épidémie d’Ébola pour faire face au COVID-19. Les sociétés minières peuvent en effet puiser dans l’expérience acquise en (i) mise en place de protocoles spéciaux d’interaction avec les intervenants extérieurs (par exemple les procédures de réception, de chargement/déchargement des navires pour l’importation et l’exportation, la réorganisation des mandats en cours des consultants sous contrat); (ii) organisation des shifts et congés pour minimiser les risques, (iii) application des mesures individuelles de prévention; (iv) extension de la zone de vigilance et d’action (assistance) des sociétés au-delà du périmètre minier pour englober les communautés avoisinantes.

Bien qu’il soit trop tôt pour évaluer l’efficacité de ces plans, il y a lieu de rester relativement optimiste, étant donné qu’ils avaient prouvé leur efficacité contre Ebola, avec zéro cas dans l’ensemble du secteur minier. Ces mesures ont contribué, tout en respectant les plans de production et les engagements contractuels, à réduire les effets de la pandémie sur les performances économiques du pays. Par exemple, la Société minière de Boké, l’une des principales entreprises, dirigée par un consortium sino-singapourien-guinéen, n’avait pas modifié son rythme de production ou d’expédition. Quant aux prix de vente de la bauxite, il est fixé par des arrangements contractuels antérieurs, qui n’ont pas été renégociés depuis le début de la pandémie. À ce jour, interrogées par l’administration minière sur les impacts possibles du COVID-19 sur leurs opérations, toutes les sociétés minières ont confirmé le maintien de leurs objectifs de production.

Bien qu’il existe toujours un risque que les revenus miniers soient affectés par le choc du COVID-19 sur le marché international, la Guinée a déjà en place certaines dispositions qui la placent dans une  position relativement stable. Jusqu’en 2016, l’essentiel des exportations de bauxite guinéenne était couvert par des contrats Take-or-Pay garantissant un plancher pour les enlèvements de bauxite, avec une formule de prix «Cost Plus»  (prix de base couvrant les coûts de production et la marge, indexé sur l’indice des prix industriels et énergétiques aux USA auquel est ajoutée une royaltie exprimée en pourcentage du prix de la tonne métrique d’aluminium primaire tel que publié par le London Metal Exchange). Cet arrangement contractuel assure une bonne transparence et une relative stabilité des revenus tirés par l’État. Cependant aujourd’hui ce type d’arrangement contractuel ne couvre plus qu’environ 20% des exportations de bauxite de Guinée. Depuis 2017, avec la montée en puissance de nouveaux producteurs/exportateurs sous le régime du nouveau Code Minier, les contrats de vente de bauxite s’apparentent plus à des transferts inter-filiales, avec un prix de référence coût, assurance et fret (CIF) correspondant au marché chinois. La seule composante objectivement vérifiable du prix est la Taxe Minière et la Taxe à l’Exportation qui demeurent indexées au prix de la tonne métrique d’aluminium primaire cotée par le LME. En outre, le volume d’exportation avec certains de ces nouveaux producteurs pourrait théoriquement être réduit à zéro (pour raison d’effondrement du marché), sans aucun filet de sécurité pour les revenus de l’État. C’est pourquoi, pour mieux protéger la Guinée, depuis 2018, les dernières conventions minières portant sur la bauxite contiennent une disposition qui oblige la société minière à justifier à l’avance et négocier avec l’État toute baisse de production supérieure à 30% de la capacité installée.

Selon l’indice de développement humain du PNUD, la Guinée se situe dans la catégorie du faible développement humain – 175e sur 189 pays et territoires. C’est un pays très vulnérable avec un système de santé fragile, un accès limité à l’eau et à l’assainissement ainsi qu’une très forte dépendance à l’égard de ses exportations de minéraux. Cependant, la Guinée a réussi à réduire sa vulnérabilité en travaillant plus efficacement avec le plus grand secteur de son économie pour développer des plans d’urgence face aux épidémies, ainsi que pour réduire la volatilité des recettes minières. Il est donc à espérer que la pandémie de COVID-19 sera traitée au moins aussi efficacement en Guinée que ce fut le cas lors de la crise Ébola. La réponse doit impliquer le secteur privé, pour mieux protéger les travailleurs, les sous-traitants et leurs familles, mais aussi pour créer les solutions qui permettront de réduire l’impact économique et fiscal et d’activer une relance plus rapide et plus effective.

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