COVID-19 : conséquences pour les migrations internationales et le développement

Par Jason Gagnon, Économiste du développement, Centre de développement de l’OCDE


Ce blog fait partie d’une série sur la lutte contre le COVID-19 dans les pays en voie de développement. Visitez la page dédiée de l’OCDE pour accéder aux données, analyses et recommandations de l’OCDE sur les impacts sanitaires, économiques, financiers et sociétaux de COVID-19 dans le monde.


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Bien que la pandémie de COVID-19 ne soit pas un problème de migration, elle est perçue et gérée comme tel. Le discours exploitant la peur face à la crise pourrait donner de l’espace aux politiques structurelles anti-migration. Ce qui nuirait aux droits et à la santé des migrants, et à leur impact positif sur le développement : en 2017, environ 258 millions de migrants internationaux ont comblé les pénuries de main-d’œuvre et contribué au transfert de compétences, de biens et de services indispensables dans le monde entier.

Nous avons fait des progrès remarquables pour renforcer la gouvernance des migrations. Mais si les droits des migrants ne sont pas protégés face à la crise du Covid-19 à court et à long terme, les avancées pourraient être réduites, mettant les migrants et leurs familles, ainsi que certains des fondements de notre économie mondiale, en danger.

Minimiser les effets à court terme de la crise du Covid-19 sur les migrants

L’effet immédiat d’un ralentissement économique sera rapidement ressenti par les migrants et leurs foyers, car beaucoup ont un statut irrégulier ou travaillent de manière informelle, ce qui les rend facilement licenciables – c’est le cas de la majorité des migrants dans les pays en développement. En outre, les camps de réfugiés sont parmi les endroits les plus densément peuplés du monde et les résidents peuvent ne pas être en mesure de partir, de choisir où aller, ou de se distancier socialement. Dans certains camps de réfugiés de Cox’s Bazaar au Bangladesh par exemple, la densité est telle qu’une personne ne dispose que de 5 à 10 mètres carrés en moyenne.

La fermeture des frontières montrera à quel point nous dépendons de la mobilité de la main-d’œuvre. Alors que tous les regards sont tournés vers les pays à revenu élevé et les pays de l’OCDE et sur la manière dont les pénuries de main-d’œuvre pourraient menacer leur approvisionnement alimentaire, un arrêt brutal des migrations internationales affectera également la sécurité alimentaire dans les pays en développement où les secteurs agricoles dépendent fortement du travail saisonnier. Comment des pays comme la Thaïlande, la Côte d’Ivoire et le Costa Rica feront-ils face au manque de main-d’œuvre, si les frontières restent fermées et s’ils ne peuvent recevoir des migrants du Cambodge, du Burkina Faso ou du Nicaragua respectivement ?

Des effets immédiats seront également ressentis par les familles des migrants dans leur pays d’origine. Les envois de fonds internationaux —passés de 64 milliards de dollars en 1990 à 683 milliards en 2018— sont une source majeure de revenus et de devises dans les pays en développement, qui en reçoivent la majeure partie (77 %). En 2019, ces transferts représentaient au moins 10 % du PIB dans 28 pays. En tant que mécanisme d’assurance pour les ménages, les envois de fonds ont tendance à augmenter en temps de crise, ou du moins se révèlent plus résistants que d’autres flux : les flux privés tendent à diminuer et l’aide publique au développement (APD) devient plus difficile à gérer. C’est ce qui s’est notamment passé lors de la crise économique de 2008-09. Mais les précédentes crises étaient moins dures et moins globalisées que celle que nous connaissons aujourd’hui.

Les migrants vivant déjà dans des pays à revenus élevés ou qui prévoyaient de s’y installer pourraient être les plus durement touchés par la crise économique. Déjà, plusieurs opérateurs de transfert d’argent travaillent moins d’heures et avec des ressources en monnaie locale limitées, retirant la bouée de sauvetage aux nombreux ménages qui dépendent de ces envois, alors que la pandémie leur coupe d’autres sources de revenus. Pour de nombreux migrants qui n’ont pas de compte bancaire, c’est le seul moyen d’envoyer de l’argent. Parallèlement, les principaux pays qui envoient des fonds, tels que les États-Unis et les pays de la zone Euro, ont vu leurs devises s’apprécier depuis que l’épidémie s’est propagée à l’extérieur de la Chine — cela seul pourrait déclencher une augmentation des envois de fonds vers les économies en développement à court terme.

Tirer parti de la crise pour résoudre le problème inachevé de la coopération internationale en matière de migrations

Les migrations internationales resteront probablement limitées, par crainte de la transmission du virus, par manque d’options de transport, à cause de la xénophobie et pour des raisons politiques. Mais dans l’économie mondiale d’aujourd’hui fortement tributaire de la mobilité des compétences, pour certaines difficiles à trouver, quelles seront les conséquences d’une réduction (intérieure) du marché du travail ?

Les retombées de la crise auront également un impact sur la réinstallation des réfugiés, qui a déjà été considérablement réduite. Les pays la réduiront-elle encore plus, ou face à des pénuries de main-d’œuvre, seront-ils poussés à la relancer ? Dans le cas d’une réduction, quelle sera la réponse de la communauté internationale aux besoins financiers des camps ? Et quid de la surcharge pour les pays en développement, où se trouvent 84 % des réfugiés.

Alors que la crise se poursuit, le défi pour la communauté internationale sera de plaider plus fermement en faveur de nouvelles ressources financières pour faire face aux retombées économiques et sociales. La diaspora, souvent bien informée et sensible aux besoins et au développement de leur pays d’origine, est en première ligne. Recourir aux obligations de la diaspora pendant et après les retombées du COVID-19 est peut-être une solution intéressante. Une autre option politique sera l’utilisation d’outils de communication pour continuer à sensibiliser le public sur les aspects positifs de la migration, et lutter contre les fake news, largement diffusées et associant de manière injustifiée la propagation de la crise du COVID-19 à la migration internationale.

La communauté internationale devrait également s’engager pleinement à réduire les coûts associés à l’envoi de fonds et à doter les ménages de connaissances financières et d’outils commerciaux pour une meilleure gestion des fonds. Un groupe de travail communautaire sur les envois de fonds mis en place par le Fonds international de développement agricole s’attaque spécifiquement à ces défis liés à la crise du COVID-19. C’est aussi le moment de renforcer le soutien à une meilleure coopération sur les transferts mobiles.

Il faut espérer que la crise mettra en lumière le coût d’une mauvaise intégration socio-économique des migrants, y compris des réfugiés, dans leur pays d’accueil. Premièrement, une intégration adaptée minimise l’émergence et la propagation d’épidémies. Les villes devraient planifier des infrastructures d’intégration adéquates et veiller à ce que les migrants aient accès à des services de santé et de sécurité sociale appropriés. Deuxièmement, une bonne intégration des migrants facilite la fourniture des soins de santé aux personnes parmi les plus vulnérables, souvent difficiles à atteindre. Cela est particulièrement vrai dans les pays en développement, où l’intégration n’est pas nécessairement à l’agenda, mais où la dynamique des migrations est fluide. La migration entre les pays en développement est élevée — dans certaines sous-régions d’Afrique, près de 80 % des migrants viennent d’autres pays voisins.

La crise du COVID-19 peut également être l’occasion de créer les opportunités et les conditions pour que les migrants puissent utiliser leurs compétences et que celles-ci, ainsi que leurs certificats et diplômes, soient reconnus. Cette crise devrait être mise à profit pour résoudre le problème inachevé de la coopération internationale en matière de migrations.